Rencontre avec Annick Steta

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Depuis le 16 mars dernier, la France est en période de confinement. Alors que nous approchons peu à peu de la date prévu de déconfinement et le retour à une vie « normale », le gouvernement ainsi que la population française et mondiale se demande quel sera l’impact de cette crise sanitaire sur l’économie.

Pour aborder ce sujet, le CEDS a interviewé un Docteur en sciences économiques, diplômée de Sciences Po Paris et de HEC Paris. Annick Steta est chercheur à l’université de Lorraine et membre du comité de rédaction de la Revue des Deux Mondes.

1) Selon vous, le ralentissement de l’activité lié à la diffusion planétaire du Covid-19 marque-t-il le début d’une crise économique durable ?

Je le crains, même s’il est évidemment beaucoup trop tôt pour évaluer les conséquences économiques de cette pandémie. Celle-ci n’est d’ailleurs pas intrinsèquement responsable de la chute de l’activité observée dans les pays concernés. C’est en effet la réponse apportée à la pandémie qui a mis les économies à l’arrêt. Dans les régions du monde les plus fortement touchées par le nouveau coronavirus, la plupart des gouvernements ont mis en place des mesures dites de confinement. Je préfère parler à ce propos d’enfermement, car il me semble que cette novlangue reprise à l’infini par les médias a quelque chose d’insupportable : ce sont bel et bien les pouvoirs publics qui ont imposé aux individus une restriction de leurs libertés inédite, du moins dans les démocraties occidentales. Certaines expériences étrangères, dont celles de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la Suède, montrent que d’autres stratégies étaient possibles : tester massivement afin de pouvoir identifier le plus rapidement possible les malades, isoler ceux-ci plutôt que d’enfermer l’ensemble de la population, mieux expliquer les modes de transmission du virus de façon à faire intégrer par les individus les précautions à prendre.

Les pays ayant choisi de limiter les déplacements de population au strict minimum ont commencé à payer le prix de cet enfermement. L’activité de l’économie française a ainsi chuté d’un tiers. Certains secteurs d’activité sont presque totalement à l’arrêt : c’est le cas de la restauration, de l’hôtellerie, du tourisme, de l’édition, du spectacle vivant, mais aussi des services non médicaux aux personnes. Or ces secteurs représentent une part importante du produit intérieur brut (PIB). Nul ne sait par ailleurs quand ils pourront redémarrer. Il est vraisemblable qu’un retour à la situation antérieure ne sera pas possible aussi longtemps qu’un vaccin contre le SARS-CoV-2 – le « nom officiel » du nouveau coronavirus – n’aura pas permis d’immuniser sinon la totalité, du moins une très large partie de la population. Durant les mois à venir, de nombreux secteurs d’activité devront adopter des mesures limitant les contacts entre les individus. Pour beaucoup d’entreprises, ces restrictions se traduiront par une diminution de leurs recettes susceptibles de mettre leur existence en péril. C’est particulièrement évident pour les transports : faire circuler des trains et des avions à moitié vides implique pour les entreprises concernées de travailler à perte.

Dans ces conditions, la reprise de l’activité économique ne devrait être que très progressive. Il me semble illusoire de compter sur un sursaut de la consommation dès la mi-mai. Les restrictions imposées aux transports internationaux pèseront par ailleurs sur les exportations. Enfin, les difficultés que connaissent la plupart des entreprises pèseront inévitablement sur l’investissement.

2) Quelles seront les conséquences sociales de cette crise économique ?

Elles seront très lourdes. La majorité des salariés du secteur privé bénéficient actuellement des dispositifs de chômage partiel financés par l’État. Ceux-ci leur permettent de percevoir les quatre cinquièmes de leur revenu antérieur. Mais tous n’ont pas d’emploi à temps plein, et tous ne disposaient pas antérieurement d’un niveau de revenu permettant de subvenir à leurs besoins. La situation est encore plus grave pour les travailleurs précaires. Que dire enfin de tous ceux qui travaillaient sans être déclarés et qui ne sont donc pas éligibles au chômage partiel ?

L’entrée en récession de l’économie française aura pour conséquence de nombreuses défaillances d’entreprises. Lors des prochains mois, les licenciements pour motif économique se multiplieront, creusant mécaniquement le déficit de l’assurance chômage. La diminution du pouvoir d’achat des individus privés d’emploi pèsera sur la consommation, ce qui contribuera au ralentissement de l’activité.

3) Comment les pouvoirs publics peuvent-ils répondre efficacement à une telle situation ?

La crise dans laquelle nous sommes entrés est différente des grandes crises économiques qui ont jalonné le vingtième siècle. Contrairement à celles de 1929 et de 2007-2008, elle ne trouve pas son origine dans une défaillance du système financier. Elle ne peut pas non plus être utilement comparée au ralentissement de l’activité produit par les deux guerres mondiales ou provoqué par les chocs pétroliers des années soixante-dix. Les pouvoirs publics doivent donc concevoir ex nihiloleur réponse à une crise qu’ils ont eux-mêmes déclenchée de façon à protéger la population.

Dès que l’épidémie a commencé à s’étendre à l’ensemble de la planète, les autorités monétaires ont injecté massivement des liquidités sur les marchés de façon à ce que la chute de l’activité ne soit pas aggravée par un défaut de financement. Puis les États sont entrés en scène. Pour le moment, les mesures qu’ils ont adoptées sont marquées du sceau de l’urgence : ils se sont substitués au secteur privé en prenant en charge une partie de la rémunération des salariés et en volant au secours des entreprises menacées de faillite. Leur intervention a eu pour prix une envolée de la dette publique. Comment celle-ci sera financée ? C’est tout l’enjeu des prochains mois. Il est impératif d’éviter qu’une crise de la dette vienne amplifier les effets de la crise de l’économie réelle. On rappelle souvent que les dettes publiques liées aux guerres mondiales ont été assez rapidement épongées. C’est exact. Mais une fois encore, la situation n’était pas comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui. Après les deux guerres mondiales, la production comme la consommation ont repris relativement rapidement. Dans les pays ayant connu des destructions importantes, les besoins liés à la reconstruction ont permis de relancer l’activité. De surcroît, l’économie américaine n’avait pas été mise à l’arrêt. À l’heure actuelle, le sort de l’économie mondiale dépend de notre capacité de mettre au point un vaccin et de le commercialiser rapidement. Nous sommes engagés dans une course de vitesse.

Mis à jour le 2 août 2022